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Le compositeur José Evangelista nous a quittés le 10 janvier 2023. Lisez ci-dessous notre interview et notre article sur son héritage, issus de notre numéro d’octobre 2017.
Compositeur en constante évolution – José Evangelista
Par Adrian Rodriguez / le
José Evangelista est un compositeur qui illustre parfaitement la diversité culturelle et l’évolution historique du Canada et de Montréal. À l’instar d’un grand nombre d’Espagnols de sa génération au début des années 1970, Evangelista cherchait à échapper à la dictature de Francisco Franco et à trouver une meilleure vie.
Mais il n’arrive pas en droite ligne au Canada. « Mon chemin s’est fait comme ça », dit-il en dessinant de la main une route sinueuse. Il y a eu une combinaison de facteurs, explique-t-il. « Je suis un ex-scientifique, j’ai une maîtrise en physique nucléaire. J’ai reçu une bourse qui m’a permis d’étudier au CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, un grand centre de recherche scientifique.»
La dictature franquiste ne donnant pas signe de fléchir, Evangelista et sa femme ont décidé de ne pas retourner en Espagne. Après avoir envoyé son curriculum à de nombreuses organisations dans les domaines scientifique et informatique, il a fini par décrocher un emploi à Ottawa.
Ayant atteint la stabilité sur les plans économique et politique au Canada, il a réfléchi à sa vie et à sa carrière. « À un moment donné, je me suis dit qu’à presque 30 ans, il était grand temps de choisir une carrière. J’ai décidé de retourner à la musique. » Au début, il voulait devenir professeur de musique. Après tout, il avait fait des études au Conservatoire de Valence, où il avait remporté le premier prix en composition musicale en 1967. Là, il avait étudié auprès de son beau-père Vicente Asencio, célèbre compositeur d’œuvres pour guitare et piano.
Désireux de renouer avec ses amours musicales, Evangelista s’est inscrit à un programme de maîtrise en musique à l’Université de Montréal, où il a étudié sous la direction d’André Prévost. Ensuite, à l’Université McGill, il a fait son doctorat auprès de Bruce Mather. Ses compositions ont bientôt commencé à attirer une attention favorable et il a remporté plusieurs prix prestigieux. D’importants ensembles lui ont commandé des œuvres. À présent, quelques dizaines d’années plus tard, José Evangelista est reconnu à la fois comme compositeur et comme enseignant.
Technique de composition
Evangelista ne suit pas une méthode systématique pour composer. Au lieu de cela, il se laisse guider par plusieurs principes philosophiques: une introspection constante, une recherche continue d’inspiration artistique et la volonté de ne pas répéter les choses du passé.
« Ce qui est important, c’est d’être cohérent. Au lieu d’écrire de la musique tonale simplement parce que c’est joli, on devrait écrire avec une langue qui semble être familière à l’auditeur, mais qui, en réalité, quand on analyse la partition, ne l’est pas. Nous devons veiller à ne pas tomber dans la banalité de l’académisme, c’est-à-dire reprendre constamment ce qui existe déjà et ne demande aucune réflexion artistique. C’est là une façon très prudente de composer ! »
Sa principale caractéristique est l’utilisation d’une texture hétérophonique avec des variations simultanées d’une seule ligne mélodique. Cette technique peut également être considérée comme un type avancé de monophonie : une longue ligne mélodique principale, comme une sorte de cantus firmus qui se déploie en même temps dans différentes voix, mais avec de multiples variations pour créer l’illusion d’une harmonie.
« À un moment donné, quand j’étais jeune, j’ai été surpris de constater que ce que j’écoutais était en réalité une sorte de supermélodie qui existait virtuellement; je pouvais donc avoir deux écoutes différentes : soit des variantes juxtaposées de la mélodie, soit des mélodies totalement différentes l’une de l’autre. Ce genre d’ambiguïté me plaît ! »
Il parle également de l’utilisation du cantus firmus. « C’est une technique de composition ancienne qui date du Moyen-Âge et du début de la Renaissance. C’est l’idée qu’une pièce de musique doit s’appuyer sur une mélodie ou un ton commun qui forme la base de toute la composition. C’est un outil très utile, car universel. Il ne peut être associé à aucune esthétique en particulier, ce qui fait qu’on peut l’employer dans n’importe quel genre – du rock au romantique en passant par le baroque. »
À présent, il continue à développer les notions d’ambiguïté et d’hétérophonie, comme en témoigne sa pièce Accelerando. Celle-ci a été commandée et jouée l’année dernière par l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) pour le 50e anniversaire du métro montréalais.
« J’ai continué à chercher de nouvelles nuances. Ensuite, il m’est apparu que je pourrais composer une pièce avec une très longue mélodie d’environ 70 notes ou plus. En réalité, quand on en fait une lecture verticale, elle est à la fois mélodique et harmonique […] J’avais de très bons modèles : Alexandre Scriabine, par exemple, avait l’habitude de dire que sa mélodie est l’harmonie et que son harmonie est la mélodie. Dans ses œuvres les plus réussies, on peut remarquer que beaucoup de passages peuvent être lus à la fois verticalement et horizontalement.»
L’influence du gamelan
Quand on explore le répertoire d’Evangelista, on est saisi par l’utilisation d’une palette exotique de couleurs. En fait, bon nombre de ses œuvres sont inspirées par la musique de l’Indonésie, où il a passé plusieurs étés à étudier le gamelan javanais et le piano birman. « Je considère cela comme de la musique parfaite. D’un côté, c’est très sophistiqué et peut satisfaire l’intellect, et de l’autre c’est très direct. Quand on l’entend, on a une réaction immédiate, sans trop comprendre pourquoi. »
Au fil des ans, sa passion pour le gamelan n’a fait que croître, à tel point qu’en 1986, il a fondé l’Atelier de gamelan de l’Université de Montréal.
Il explique comment cette aventure a démarré : « J’aimais beaucoup l’idée d’amener un groupe de gamelan à Montréal, car je pensais que ce serait parfait pour les étudiants. Mais l’université n’avait pas d’argent; alors nous avons conclu un accord avec le gouvernement de l’Indonésie. Nous avons fait venir des Indonésiens afin qu’ils puissent faire connaître leur culture dans le cadre d’une exposition internationale. Un grand nombre de musiciens les accompagnaient, et ils ont apporté une multitude d’instruments. À la fin de la tournée, conformément aux termes de l’échange, ils ont fait don de leurs instruments. » Il poursuit en expliquant que les musiciens indonésiens ont laissé deux magnifiques jeux de métallophones, dont il s’est vite servi pour inaugurer l’atelier.
Depuis, l’Atelier de gamelan est devenu un cours très demandé à l’Université de Montréal. « Certains étudiants vont en Inde se perfectionner et se spécialiser. » Il explique également qu’en Inde, la pédagogie musicale comporte un élément qui n’est, à son avis, pas du tout valorisé en Occident : la mémorisation. « Dans la tradition du gamelan, il faut toujours jouer par cœur. En fait, après avoir commencé à étudier cet instrument, je me suis vite rendu compte que ma capacité de mémorisation était bien meilleure que je ne le croyais. C’est une tradition orale. Il n’y a rien sur papier, et il faut donc tout apprendre par cœur. »
Clos de vie
L’une des compositions les plus acclamées d’Evangelista est Clos de vie, une œuvre commandée par la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ), créée par Serge Garant en novembre 1983, et qui a reçu les louanges de la tribune internationale des compositeurs de l’UNESCO en 1984. Il l’a dédiée à la mémoire de son ami et collègue Claude Vivier, décédé en 1983, à l’âge de 34 ans, dans des circonstances tragiques.
Les deux compositeurs étaient très liés. En 1978, par exemple, ils ont fondé ensemble les Événements du neuf, une organisation consacrée à la promotion des nombreuses tendances de la musique contemporaine.
Evangelista, d’une voix douce et émue, confie : « Clos de vie a été composé à un moment de grande douleur. J’avais perdu mon ami Claude Vivier, avec qui j’avais beaucoup travaillé. Cette pièce exprime le sentiment de nostalgie et de profonde tristesse que je ressentais depuis sa disparition. » Et d’ajouter que « le titre, qui évoque le mot “vivier”, est un jeu de mots : “Claude vit” ».
Sur le plan musical, cette œuvre monodique est basée sur une mélodie cyclique. « Ses quatre sections constituent des variations sur l’unisson orchestral, explique-t-il. On n’y retrouve donc nul accord, nul contrepoint en tant que tel. Le traitement des instruments crée souvent des ambiguïtés entre les timbres. Et cela se termine sur une citation du chant Lonely Child de Claude Vivier. »
Il trouve paradoxal que l’ensemble de la SMCQ, connu pour sa gentillesse, soit appelé à jouer une œuvre empreinte de tristesse et de colère.
La Série hommage 2017-2018 de la SMCQ
Cette année, la sixième édition de la Série hommage de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ) sera consacrée à José Evangelista. Cette série biennale de concerts présente des œuvres d’un compositeur québécois interprétées par des artistes canadiens et internationaux un peu partout au Canada. Des concerts d’ensembles tels que Quasar et le Nouvel Ensemble moderne (NEM) figurent déjà au calendrier de la saison 2017-2018 en l’honneur du compositeur. www.smqc.qc.ca
L’héritage d’Evangelista
Par Adrian Rodriguez / le
Chez les Evangelista, c’est tel père, tels fils ! Ses deux rejetons sont très présents sur la scène musicale montréalaise. Gabriel, l’aîné, est un caméléon musical, influencé à la fois par le jazz, le gamelan, la musique classique et la salsa. « Je décline mes identités dans cet ordre : compositeur, arrangeur, directeur musical et interprète, dit-il avec sérieux. Mon bagage musical englobe le classique, les traditions du jazz et de la salsa, le gamelan balinais et un peu de flamenco. » L’album Bali X est l’une des initiatives dont il est le plus fier. « Giri Kedaton [l’ensemble gamelan qui était en résidence à l’Université de Montréal] et moi avons pris le gamelan gong kebyar et l’avons mélangé avec différents types de musiques modernes populaires et urbaines. Il y a par exemple une pièce de gamelan-métal, une autre de gamelan-électro. Nous avons même produit un arrangement pour gamelan d’une pièce de Radiohead [célèbre groupe de rock alternatif]. »
Dans la veine classique, Gabriel a composé de la musique pour orchestres de chambre, notamment l’une des pistes de l’album éponyme d’OktoEcho – un orchestre de chambre montréalais qui est influencé par la musique arabe. Cet album a été en nomination pour un prix Opus.
La musique latina occupe une place de choix dans son cœur. « J’ai commencé à étudier la salsa tout seul vers 17 ans. J’ai consulté différents ouvrages et commencé à apprendre. Je me souviens d’un livre intitulé Salsa, The Rhythm of Latin Music […] J’ai commencé à m’améliorer et à jouer avec des salseros montréalais. Depuis, j’ai commencé à faire des arrangements musicaux et de la direction musicale. »
Malgré ce tsunami d’activités musicales, il a trouvé le temps de se joindre à un nouveau groupe, Afilao (« aiguisé »). C’est un septette de jazz afro-cubain qu’il décrit comme une vision progressive d’une diversité de genres dans la musique cubaine moderne. « J’essaie de combiner le côté angulaire de la musique moderne et progressive avec un côté groovy. »
Pour sa part, son cadet David est un « shredder », un guitariste de métal à haute teneur en octane. Il explique comment il est devenu un virtuose de la guitare électrique : « J’ai grandi dans une maison qui résonnait de musique classique et du monde et de jazz. J’ai toujours aimé le ragtime et le jazz, qui m’ont orienté vers le côté plus blues de la musique. J’ai commencé par m’initier à la musique classique : piano, violon, solfège, harmonie. Cependant, j’étais encore attiré par le blues sans vraiment le savoir. J’avais l’habitude de tenir mon violon comme une guitare et de plaquer des suites d’accords de blues sans vraiment savoir ce que je faisais. La transition vers la guitare allait de soi. J’aimais l’aspect virtuose de cet instrument, qui produit un son fort et intense, mais mélodique et beau aussi. J’ai également été attiré par l’intensité contrôlée du heavy métal, le bruit lustré que cela produit. J’adore un son de guitare fort et déformé. C’est quand même proche du violon : la tonalité, le maintien, comment on façonne le son avec un égaliseur. Beaucoup de groupes de métal, comme Metallica et Iron Maiden, se servent d’harmonies. »
On peut imaginer la cacophonie chez les Evangelista quand Gabriel et David étaient là. Gabriel qui faisait la « fiesta » avec son piano et ses montunos – les séquences de piano salsa qu’on retrouve dans la musique cubaine; David avec ses solos de guitare tonitruants; et José essayant de trouver un espace de tranquillité pour composer !
José se souvient : « Nous devions nous retrancher dans différentes pièces de la maison, avec différentes sources sonores. Pourtant, on a souvent écouté de la musique ensemble. J’ai toujours voulu que mes fils aient un fondement classique et qu’ils côtoient également la musique moderne de compositeurs contemporains. Parce que mes deux fils étaient doués en musique, j’ai trouvé important de leur inculquer une influence classique tout autant que des tendances modernes et populaires. Chacun doit suivre son propre chemin. »
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