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Le compositeur Andrew Balfour accorde une place importante à leur côté médical dans ses activités créatives. « On considère la musique comme un refuge, mais la musique peut aussi être un puissant point d’entrée vers la guérison », dit-il.
La notion de guérison est chère au cœur du compositeur cri. Son œuvre se caractérise par la combinaison de la polyphonie et de thèmes autochtones liés à l’histoire et à l’identité. Il réussit habilement à trouer le récit eurocentrique de la musique classique, tout en utilisant ses fondements pour explorer des questions sérieuses. Un tel instinct créatif ne peut qu’avoir des racines douloureuses.
Alors qu’il n’était qu’un nourrisson, Andrew Balfour a été enlevé à sa mère crie pendant la rafle des années 1960 (Sixties Scoop), un terme qui fait référence à une période de l’histoire du Canada où les enfants autochtones étaient séparés de force de leur famille pour être confiés au système de protection de l’enfance, en grande partie sans le consentement de leur famille ou de leur communauté. En l’espace de trois décennies, plus de 20 000 enfants des Premières Nations, métis et inuits ont été retirés par les services de protection de l’enfance et placés en vue de leur adoption dans des foyers principalement non autochtones. Selon un rapport d’Indigenous Foundations (une ressource d’information gérée par l’Université de Colombie-Britannique), ces enfants ont fini par souffrir de problèmes émotionnels et psychologiques en raison de la suppression de leur culture.
Bien qu’Andrew Balfour ait été élevé par une famille mélomane aux racines écossaises – son père adoptif était pasteur anglican et tromboniste, sa mère adoptive était violoniste –, il a souffert de troubles de l’attention en classe, a abandonné l’Université de Brandon après un an et a vécu dans les rues de Winnipeg avant de purger une peine de quatre mois au centre correctionnel Milner Ridge du Manitoba en 1995. Pendant cette période, il a rencontré de nombreux détenus métis et des Premières Nations. « Ils m’ont accepté comme un frère », a-t-il déclaré au Globe and Mail en 2019. À la suite de ces rencontres, Balfour a embrassé son héritage cri et a choisi d’utiliser la musique comme véhicule pour l’explorer et l’exprimer.
En 1996, il fonde le groupe vocal Camerata Nova, constitué de 14 membres, et la suite appartient, comme on dit, à l’histoire – mais Balfour s’est donné pour mission de réexaminer l’histoire à travers un prisme distinctement autochtone. Ambe, sa première œuvre publiée, utilise un texte ojibwé et une ligne de basse persistante reflétant les sons d’un tambour cérémoniel. Le drame musical Take the Indian, commandé par l’Orchestre symphonique de Winnipeg pour le Festival de musique nouvelle de 2015, fait référence à l’intention officielle des pensionnats de « tuer l’Indien dans l’enfant » et est basé sur les observations directes de Balfour qui a assisté aux audiences de la Commission de vérité et de réconciliation. Ses pièces chorales, instrumentales et orchestrales intègrent souvent un éventail de sons, de styles, de genres et de disciplines artistiques : Empire Étrange: The Death of Louis Riel, Migiis: A Whiteshell Soundscape, Manitou Sky, Bawajigaywin, Wa Wa Tey Wak (Northern Lights) et Mishabooz’s Realm (commande de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Montréal et du Highlands Opera Studio) ne sont qu’un petit échantillon de sa production créative.
« La musique comme pur divertissement est une chose, mais la musique qui raconte une histoire et transmet un message est si importante, dit Andrew Balfour. Ces histoires doivent être racontées, et la seule façon dont je sais le faire, c’est par la musique ». Le compositeur primé a écrit des commandes pour un certain nombre de formations prestigieuses, notamment les orchestres symphoniques de Winnipeg, Regina et Toronto, Tafelmusik, le Toronto Mendelssohn Choir et le Vancouver Chamber Choir.
Parallèlement à ses activités de composition, Andrew Balfour se passionne pour l’éducation et la sensibilisation. Depuis plus de dix ans, il participe à des initiatives dans les réserves et dans les écoles urbaines, et il connaît d’expérience le pouvoir de l’accès à l’éducation musicale. Il a grandi avec trois professeurs de musique à temps plein dans sa propre école, ainsi que plusieurs groupes et chorales actifs pendant l’année. « On peut voir les effets sur les élèves lorsqu’ils n’ont pas l’occasion de chanter ou de jouer d’un instrument – lorsqu’ils n’ont pas la chance d’être dans un collectif avec d’autres, note-t-il. Il est donc maintenant très important de faire chanter les enfants, et le pouvoir qu’ils ont en chantant dans une langue autochtone est incroyable. Cela leur donne de l’espoir et c’est très puissant. »
Selon lui, la pandémie de coronavirus a eu un effet tout aussi puissant sur les questions autochtones et leur présentation sur la scène artistique canadienne. « Comme les chefs d’orchestre et les musiciens n’étaient pas en train de répéter ou de programmer des concerts, il y a eu beaucoup de temps d’arrêt, ce qui a donné lieu à des discussions sur la décolonisation de la musique, sa diversification, la nécessité de rejoindre un public plus large, de rendre la musique chorale plus accessible au grand public. Je suis convaincu que nous avons tiré profit de cette période, que nous avons engagé des conversations très importantes qui se poursuivront pendant longtemps. »
Croit-il que les compositeurs européens devraient être rayés des programmes au Canada ? Pas exactement. « Quand je parle de décoloniser la musique, cela ne signifie pas se débarrasser de Beethoven ou de Mahler, explique Andrew Balfour. J’espère plutôt voir, ou participer à son élaboration, une musique accessible à tous. » La voix humaine est une voie rapide vers cette accessibilité. « J’aime le son de la voix humaine, j’aime assembler des harmonies et raconter des histoires, parfois difficiles, par ce biais, car je pense que c’est un moyen que les gens comprennent vraiment. »
Notinikew, son mini-opéra antiguerre, offre une telle immédiateté en explorant l’expérience de la guerre d’un point de vue autochtone. Œuvre multimouvements pour chœur et violoncelle avec narration, la pièce – qui utilise le mot cri pour « aller à la guerre » – a été créée pour marquer le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale en 2018. Elle sera présentée à Montréal le 24 février dans le cadre de la biennale Montréal/Nouvelles Musiques (MNM), qui marque cette année le 57e anniversaire de la Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ).
Passionné d’histoire, Andrew Balfour était fasciné par les récits de soldats autochtones qui s’étaient portés volontaires pour participer à la Première Guerre mondiale. « Ma question était toujours : pourquoi ? Pourquoi aller se battre dans une guerre de Blancs ? » Il a par la suite appris que de nombreux autochtones espéraient que leurs efforts leur permettraient d’avoir une vie meilleure. « Ce ne fut pas le cas, dit sans détour le compositeur. Ils ont été forcés de retourner dans la réserve, où ils ont été rejetés par leurs propres communautés. C’est l’une des histoires les plus tristes que je connaisse dans l’histoire de ce pays. » L’œuvre perturbe les idées traditionnelles du jour du Souvenir et de sa célébration. « Les gens pensent qu’il ne s’agit que du coquelicot, des drapeaux et de la sonnerie aux morts, mais Notinikew nous oblige à penser aux Autochtones qui ont sacrifié beaucoup pour très peu. On dit qu’ils se sont battus pour la liberté et les droits, mais quels sont vos droits lorsque vous revenez dans un pays qui vous enferme dans un petit bout de terre et ne vous laisse pas parler votre langue ou célébrer votre culture ? À mon avis, cela est très loin de la liberté. »
Nagamo, le projet que Balfour a réalisé avec le groupe vocal Musica intima de Vancouver en 2022, est également en tournée. Le mot nagamo signifie chante en ojibwé, un titre subtil pour une œuvre puissante. Paru l’année dernière sur Redshift Records, l’album est une réimagination émouvante des œuvres chorales de Thomas Tallis, William Byrd et Orlando Gibbons, dont les textes latins sacrés originaux ont été retravaillés par Balfour en ojibwé ou en cri; il ne s’agit pas, à dessein, de traductions directes. Dans les notes de pochette de l’album, il écrit que la combinaison des textes et de la musique permet ici « une perspective plus autochtone de la spiritualité », tout en conservant la beauté de la polyphonie. Compte tenu du rôle douloureux de l’Église dans l’histoire des peuples des Premières Nations, l’album contribue à une guérison autant sonore que spirituelle. « Je ne déteste pas la musique des offices religieux, a déclaré Balfour à CBC Radio en 2022. Je ne serais pas ici si je n’avais pas appris la musique comme enfant de chœur – je suppose que c’est une réconciliation personnelle avec moi-même et les institutions non autochtones. » En décembre, CBC Music a sélectionné Nagamo comme l’un de ses « 22 albums classiques canadiens préférés de 2022 ». Balfour, avec Musica intima, partira en tournée avec Nagamo en mars, avec des arrêts à Toronto, London, St. John’s, Winnipeg et Edmonton.
Les projets plus importants menés avec les grandes institutions artistiques canadiennes doivent, selon lui, être fondés sur « une confiance et une compréhension à 100 % » et doivent inclure des artistes autochtones. « S’il ne s’agit que d’une commande et que le contrôle artistique complet est ensuite confié à l’organisation – pas question. Je voudrais m’assurer que le projet est géré, dirigé et produit par des Autochtones. Ce n’est que de cette façon que ça pourra fonctionner. » Avec qui aimerait-il travailler ? « J’ai les yeux rivés sur des projets avec d’autres créateurs autochtones, comme la mise en scène d’un texte de Tomson Highway, dit-il en souriant, parlant du célèbre écrivain autochtone. Mais, bien sûr, cela nécessiterait un contexte favorable. »
La satisfaction créative actuelle est tempérée par la réalité. « Je suis heureux là où je suis en tant que compositeur. Je n’ai jamais été aussi occupé, admet-il, bien que je sois mécontent de la situation des Autochtones dans ce pays. Je ne suis pas un médecin, je ne suis pas un avocat, je ne suis pas un politicien – je suis un conteur d’histoires, ce qui est vraiment puissant.”
Notinikew sera présenté dans le cadre du Festival Montréal Nouvelle Musique le 24 février à la Maison symphonique de Montréal.
www.smcq.qc.caLa tournée canadienne de Nagamo s’arrêtera à :
• Toronto le 5 mars
• London le 7 mars
• St. John’s le 11 mars
• Winnipeg le 15 mars
• Edmonton le 18 mars
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